Les questions relatives aux Îles éparses continuent de nourrir les débats. Dans un article du numéro 86 de la revue MCI qui vient de paraître, le juriste Raphael Jakoba fait une analyse objective de la situation. Pour lui, la France gardera toujours sa position dominante.
Il ne faut pas se leurrer ! La France est et restera rétive à la restitution des Îles éparses à Madagascar. Il suffit de voir les 40 années qui se sont écoulées depuis la fameuse résolution 34/91 de l’Assemblée générale des Nations Unies, datant de 1979, pour s’en convaincre. Faut-il reconnaître qu’en l’état actuel des rapports de force entre les deux pays, la Grande Île ne dispose pas de moyens politiques, encore moins militaires, nécessaires pour faire plier la France. Realpolitik oblige, il faut pour le moment opter pour la cogestion des Îles éparses.
Pourquoi ?. Certes, deux résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies, 34/91 du 12 décembre 1979 et 35/123 du 11 décembre 1980, ont demandé à la France la restitution de ces îles à Madagascar, et d’entamer « sans plus tarder des négociations avec le gouvernement malgache. » À la lumière de celles-ci, le professeur Ranjeva estime d’ailleurs que la restitution est quelque chose d’acquis pour Madagascar. Pour ce dernier, le débat juridique est clos, le droit a été constaté ; il ne faut plus par conséquent, faire marche arrière sur les droits déjà acquis en vertu de ces résolutions des Nations Unies à un moment donné. Toutefois, cette position de l’ancien vice-président de la Cour Internationale de Justice (CIJ) de La Haye est à prendre avec une certaine mesure, pour ne pas dire avec des pincettes, car il est opportun de rappeler que le droit est une chose, son application en est une autre.
Pas de force obligatoire. D’une part, les résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies n’ont pas de force obligatoire en Droit international public, contrairement à celles du Conseil de Sécurité ; elles ne constituent que l’expression formelle de la majorité politique des membres des Nations Unies à un moment donné. De ce fait, leur non-exécution par la France n’entraîne pas juridiquement de sanctions préalablement définies pour celles-ci. Autrement dit, s’il n’est pas entièrement faux de dire que le débat juridique concernant les Îles éparses est clos, le sort de ces îles n’est plus juridique, mais relève de négociations politiques entre les deux pays. D’autre part, certes à travers ces résolutions, le Droit international est en faveur de Madagascar, mais c’est un droit qui relève de la fiction juridique. En l’espèce, entre la règle de droit et la réalité des faits, il y a une ineffectivité totale. Car si sur le fond Madagascar a obtenu gain de cause, les questions pratiques n’ont jamais été clairement posées : partant du postulat que la France n’acceptera jamais la restitution, a-t-on les moyens de la lui imposer ? Non ! Madagascar dispose-t-elle pour le moment de moyens pour compenser les infrastructures déjà mises en place par la France sur ces territoires ? Non !
Realpolitik. On a beau être tenté par la restitution, dans la mesure où le problème de droit sur ces îles a déjà été résolu lors de la résolution 34/91 et 35/123 de l’Assemblée générale des Nations Unies ; mais ce n’est pas encore dans les moyens de Madagascar, encore moins dans ses priorités. Au nom de la realpolitik, la cogestion représente une opportunité pour Madagascar d’avoir une part de contrôle sur les Îles éparses, contrôle qu’elle ne détient pas encore pour le moment. Les redevances résultant d’une telle cogestion donneraient en outre un bon coup de pouce à l’économie du pays, qui a encore besoin de mûrir dans de nombreux domaines, à n’en citer que la question de l’État de droit et la lutte contre la corruption. Madagascar doit donc prôner le concept de co-gouvernance, qui laisse de côté les contentieux de souveraineté, pour mettre davantage l’accent sur la gestion participative des îles entre la France et Madagascar. Les États malgaches et français fixeraient par ce biais un objectif commun, et seront tous deux responsables de la gestion et du financement de ces territoires, pour partager équitablement les bénéfices au final.
Recueillis par R.Edmond.